• La première fois

    La Gourmette

    Au bord de la rivière la Chézine, il y a quarante ans, il y avait un club hippique, réputé sur la région : La Gourmette. J'avais 10 ans, la rentrée scolaire était faite depuis déjà quelques semaines. Cela faisait des mois, des années que je demandais à mes parents de pouvoir monter à cheval...

    Ce samedi-là, maman me demande de me coucher de bonne heure, car le lendemain matin, j'allais avoir ma première leçon d'équitation ! J'en suis restée bouché bée... inutile de dire que la nuit fut courte, entrecoupée de chevauchées échevelées sur le dos de chevaux les plus beaux, les plus grands, les plus rapides... « L'étalon noir » de W. Farley avait déjà frappé mon imagination !!

    Le lendemain matin, je me levais rapidement, m'habillais chaudement, prenais mon petit déjeuner... enfin, je crois, car il me semble que mon estomac avait un peu de mal à fonctionner ! Et papa m'emmena jusqu'à la Gourmette. Il ne faisait pas encore jour. L'allée longeait la carrière plongée dans le noir, seul le bâtiment de gauche était éclairé par les lumières du club.

    Après avoir garé la voiture, nous nous sommes dirigés vers ce bâtiment, en approchant, un ébrouement nous accueillit. En entrant, je vis des chevaux à l'attache, les croupes étaient lustrées, certains avaient des selles sur le dos.

    Après tout ce temps, je me souviens du nom des chevaux qui se trouvaient dans cette écurie : Cent-deux, Nizza, Rêve d'or, Sassy, Tomate, Rififi, la grise Rose de Mai, dans un box ouvert : Rash et Epilogue et dans le box d'a-côté : Vermandois. Je me souviens aussi de l'odeur, cette odeur particulière qui entourent les chevaux, mélange de paille, de cuir, de graisse, de crottin.

    D'autres enfants et ados sont entrés dans l'écurie, suivi d'un vieux monsieur habillé d'une veste et d'un pantalon noirs, de hautes bottes de cuirs et coiffé d'une casquette à carreaux, il nous regarda tous, nous dit bonjour, puis il indiqua à chaque jeune, le cheval qu'il allait monter ce matin-là.

    Et moi ?

    Monsieur Donnard, ancien du Cadre Noir de Saumur m'a toujours fasciné, toujours de noir vétu, très calme, très droit, peu bavard, était beaucoup plus qu'un moniteur d'équitation, c'était un Maître.

     

    Chacun se dirigea vers son cheval, détacha le licol, le sortit de sa stalle et à la queue leu  leu les sortirent de l'écurie, je les suivis. Ils entrèrent dans un grand hangar au sol recouvert de scuire de bois : le manège. Les jeunes cavaliers et leur chevaux se placèrent au milieu du manège, les uns à côté des autres, et s'affairèrent autour de leur monture. Une fois prêts, ils se mirent à cheval et les uns derrière les autres gagnèrent le pourtour du manège : la piste.

    Et moi ?

    Dans un coin du manège, près de la grande porte à double battant, des parents avaient pris place sur des bancs, parmi eux : papa, frigorifié.

    Maître Donnard entra à son tour, ferma un battant de la porte et s'approcha du centre du manège et dit :

    « vous allez demander au lad de vous préparer Teff.... et vous la ramènerez ici »

    J'ai opiné de la tête sans oser lui faire répéter le nom du cheval : Teff ? Il me semblait que le nom n'était pas si court... bon, je trouverai ! J'allais monter sur un cheval ! Mon coeur tapait très fort. Je sortis du manège et... ah ben, je la trouvais où, l'écurie où se trouvait Teff ? Je me dirigeais vers le bâtiment sur ma gauche et regardais les noms inscrits sur les portes : Corneville ! rigolo ce nom ! Je pénêtrais dans une écurie et trouvais le box de Teff, plutôt Teffy... et bien voilà, je l'avais trouvé mon cheval ! Bon, maintenant le lad, où est-il ? Ah le voilà !

    Je lui racontais que Monsieur Donnard voulait que je ramène Teffy au manège. Il m'a regardé :

    « Mademoiselle, vous êtes déjà monté à cheval ? »

    « Non, Monsieur, c'est la première fois »

    « Alors, ce n'est pas Teffy que vous devez monter, mais Teffimay, c'est sa soeur, et elle est plus gentille avec les débutants ! »

    oh ben, c'est comme vous voulez, du moment que je revienne avec dans le manège !

    Le lad a sorti Teffimay de son box, petite jument baie brune, avec une liste fine sur le chanfrein, me montra comment tenir les rênes, comment me placer à côté pour qu'elle me suive et m'accompagna jusqu'à la porte du manège.

    Je rentrais, très fière, un peu inquiète quand même. Un jeune homme qui se trouvait au milieu du manège me montra comment régler mes étriers, ressangler Teffimay, à rassembler mes rênes dans ma main gauche, puis mettre mon pied gauche dans l'étrier, attraper le troussequin de la main droite, me soulever et me mettre en selle... wouah, j'étais à cheval, j'étais sur le dos d'un cheval, et pas en rêve ! J'avais l'encolure brune de Teffimay devant moi, au bout de laquelle les oreilles se dressaient... Je crois que j'aurai pu rester ainsi au milieu du manège tout le reste de la vie... envie de rien d'autre !

    La suite de cette première fois reste très confuse, je ne sais plus si je suis allée directement sur la piste, ou si, le jeune homme m'a fait tourner en longe, si j'ai réussi à trotter ou simplement marcher au pas...

    Mais, ainsi que Maître Donard l'avait prédit à Maman quand elle était venue se renseigner quelques temps plus tôt, j'avais attrapé le virus, pour moi, plus de vie possible sans un cheval près de moi. Même si le temps a fait que les choses ont évolué autrement, les chevaux sont toujours dans mes pensées, à un moment ou un autre de la journée.